Souvenirs de Philippe LELOUP
diglou 1958-59-60






La "Diglette Saint Michel" est un bâtiment des Pères Jésuites de Bruxelles construit au début des années 30 en bordure de la forêt de Saint Hubert à quelques Km de Nassogne. Elle tient son nom au ruisseau qui traverse cette forêt pour se jeter dans la Masblette en contrebas du fourneau Saint Michel, rétabli en musée du fer, il y a quelques années. La rivière passe derrière cette maison qui possède + /- 60 chambres et qui accueillait durant les deux mois d'été les Pères Jésuites en juillet et deux séjours d'étudiants au mois d'août.

Actuellement, elle est donnée en location à divers groupes, familles, ...

En 1948 au cours de vacances familiales à Nassogne, comme but de promenade nous y étions passés pour saluer des cousins qui y séjournaient ; mais comme la journée se passait en forêt, nous n'avons pu leur parler ; par contre, nous y avons rencontré le Père Brunin, préfet au Collège Saint Michel de Bruxelles à l'époque avec qui nous avons conversé quelques instants.
Cela a poussé mes parents, en 1949 (ou 1950), a inscrire mon frère aîné au premier séjour lequel fut annulé pour cause d'un cas de poliomyélite et/ou de sècheresse ; en effet, si la Diglette est à sec il n'est pas possible d'y vivre ; l'eau et l'électricité y étaient absentes.
Ces deux premiers contacts, sans en connaître la vie ne m'ont pas enthousiasmé ; j'avais seulement 7 et 8 ans et la forêt m'attirait beaucoup plus que cette grande bâtisse austère.
Entre-temps, j'ai été étudiant au Collège Saint Michel de 1948 à 1958.
Par contre, en octobre 1955, après la retraite annuelle des "humanités" s'étalant du lundi au jeudi midi avec congé le vendredi, le Père Collart, Directeur de la Chorale dont je faisais partie, pour remercier ses chantres des prestations de l'année jubilaire écoulée, y proposa un court séjour du jeudi après midi au vendredi soir.

Le programme était le même que durant les séjours de vacances ; arrivée en fin de journée vers 16h30, jeux en plein-air et repas du soir, jeux de société (ambassadeur), veillée de chants et jeux, prière du soir à la chapelle, montée dans les chambrettes où passaient les dirigeants avec remise de bonbons (heureusement qu'on se brossait les dents dans le ruisseau le lendemain matin) et extinction des feux par l'arrêt du groupe électrogène bricolé avec un vieux moteur de camion( ?) citroën.
Le matin, réveil, toilette dans la Diglette derrière la maison, salut au drapeau, messe, petit déjeuner, rangement de la chambre, corvées et départ en promenade pour la journée, pic-nic dans la forêt avec un feu au bord du ruisseau ; suivait un grand jeu : assaut de bastion avec prise au foulard ou au numéro, piste, ... et retour au gîte par les "Pirchs" (sentier de braconniers, dégagés des branchettes) en observant le silence pour écouter la forêt, être à l'affût des animaux, observer les plantes, ...
En prenant possession de ma chambre, j'eu la surprise de découvrir dans mon aiguière, une chauve-souris ; quelle découverte avec mon ami nous qui avions créé un petit club "nature" à Bruxelles. Nous avons demandé de pouvoir visiter le grenier ou se réfugiaient ces petits carnivores : quelle ne fut pas notre étonnement d'y en découvrir des centaines et des centaines .... toutes suspendues par leurs griffes des pouces à la structure de la toiture. j'ai eu l'occasion de revisiter ce grenier en 1986, soit près de 26 ans plus tard ; quelle déception, plus aucune de ces magnifiques petites bêtes.
Quelque peu privilégié par le Père Collart, il m'a permis avec ce même ami de rechercher des lézards et salamandres au début de la matinée du vendredi. Sur les talus de la route près du fourneau Saint Michel. Que de découvertes ... parmi les mini-sources des talus, toute une petite faune et un petit monde de batraciens, de petits reptiles sauriens et autres, .... Les libellules et les fleurs étaient également de la partie ainsi que les fourmis et criquets.

Je garde donc de ce premier et court séjour un souvenir extraordinaire des lieux et de son environnement.
Cela m'incita à participer à des séjours d'été ; malheureusement cela n'a pu s'arranger les années suivantes. Je dus attendre juillet 1958, année où je quittais le Collège Saint Michel vers l'Institut Saint Luc, pour vivre cette merveilleuse aventure dans la nature.

Départ du collège au boulevard Saint Michel, en bus vers 14h30 heures, avec arrêt et visite du château de Lavaux Sainte Anne ; arrivée à la Diglette, déchargement des valises et sacs, promenade en forêt encore humide de la pluie des dernières heures, recherches de champignons : les belles "chanterelles", rappel de la vie des "résistants" dans nos forêts et retour par l'arrière de la maison, - installation et programme comme décrit ci-avant.
Le staff était composé des Pères Wanquenne et Voiturier, ... de Marc Vanhoute, Jean-Pierre Lambrecht (Mirza !), Georges Ponette, Daniel Dejong ( ?)... pour autant que je me rappelle ceci en mélangeant un peu les trois séjours auxquels j'ai participés. Les Pères de Beys et Derbaix apparaissaient l'une ou l'autre fois car je crois qu'ils étaient de la deuxième quinzaine d'août.
Pour ma part, j'étais accompagné de mon cousin André LELOUP.
Je me rappelle d'une année assez pluvieuse éveillant toutes les "senteurs" de la forêt et des vêtements qui séchaient près des feux ardennais. ; cette fois-ci, l'eau ne manquait pas et la pompe à eau appelée le "bêlier" qui rythmait les activités dont les corvées vaisselle, nettoyage des lieux communs, mise des tables, épluchage de légumes, préparation du pique-nique, ...
L'année suivante, mes petits camarades étaient intrigués par un étui, étroit et long que j'avais emporté dans mes bagages. Je ne pu leur montrer qu'un des derniers jours : en effet avec mon cousin, la veille du séjour, nous avions été au "vieux marché" de Bruxelles pour acheter chacun un parapluie que nous avions enfin pu sortir, le temps au cours de ce séjour ayant été plus que merveilleux.
En évoquant la corvée "légumes", cela me rappelle le jeu de "Zorro", personnage masqué de bande dessinée aux nombreuses ruses et actions héroïques.
Un jeune du groupe était choisi par le staff pour exécuter une action sortant de l'ordinaire. Cette fois-là c'est moi qui fut choisi. Je devais retirer des épluchures de pommes de terre qui souillaient le lit de la rivière, les récupérer et les déposer devant la porte de l'aumônier ; cela prédisait et annonçait déjà les actions écologiques à venir ; bravo aux instigateurs.
il faut dire que tous les participants étaient à l'affût et se relayaient pour prendre "Zorro" la main dans le sac... enfin dans la rivière. Heureusement une petite crue nocturne avait évacué l'objet du délit laissant croire à tous que Zorro avait déjà exécuté une partie de sa mission. J'eu l'idée de prendre des épluchures à la cuisine , de les tremper dans mon aiguière pour les déposer tranquillement devant la dite porte en descendant au repas du soir. Entre-temps mon cousin était passé me voir dans ma chambre, j'eu juste le temps de poser mon essuie sur les preuves accablantes. Le repas fut fort animé quand l'aumônier, sorti de sa chambre, a annoncé que Zorro avait accompli sa mission sous le nez et la barbe du sergent Garcia et de la soldatesque.
Le soir à la veillée, une enquête en découla ; il fallait démasquer et juger Zorro ; divers témoins passèrent à la barre, ... dont un ayant cru m'apercevoir avec un paquet avant de descendre pour le repas ; il n'en fallut pas moins pour m'accuser. ... le procès débuta ! L'avocat général déploya les arguments de sa plaidoirie avec de pompeux subjonctifs et de larges effets de manche ; je le revois encore et je crois me souvenir de son nom, Benoit Dedecker, excellent dans ce rôle ; j'étais toujours prétendu innocent mais on me cuisina ; le magistrat demandait des indices complémentaires., Mon cousin confirma mon attitude étrange lors de sa visite dans ma chambre essayant de cacher quelques affaires suspectes : j'étais cuit ... mais fiez-vous à la famille ! Heureusement ma peine ne fut pas lourde.
Outre ce jeu qui n'apparaissait qu'une fois au cours du séjour et ne durait que quelques 24 ou 48 heures, les soirées était meublées de jeux à savoir à l'extérieur, le "jeu de barre", jeux de foulards, ... et à l'intérieur, "Ambassadeur", jeu de mimes ou une équipe mimait divers personnage, situations, actions,... ainsi que d'autres jeux inter-équipes.
Le jeu de barre(s), consistait à interpeller un adversaire du camp ennemi et le provoquer. S'il parvenait à prendre celui-ci sorti avant lui des limites, il était remisé derrière les lignes ennemies. Les deux camps occupaient les petits côtés d'un rectangle de deux fois sa longueur. Tout joueur qui sortait après un adversaire du camp opposé avait "barre" sur lui et pouvait donc le faire prisonnier. L'astuce consistait à passer derrières les lignes ennemies pour délivrer les prisonniers et/ou attraper un ennemis par l'arrière.
Ce jeu apprenait aux jeunes à être honnêtes, sincères, actifs, loyal, ...
"Caillouter" était une autre activité durant notre séjour. On ne sait exactement l'étymologie ou la source littéraire de ce sport ; ce nom était-il le fait de braconner et d'avoir un caillou sur la conscience et était-ce plutôt cette définition qui serait la bonne, l'art de rechercher et prendre des truites avec les mains sous les cailloux de la rivière. Les plus habiles se les grillaient sur le feu de bois au cours du repas de midi et/ou allaient frotter la manche de Madame Martha pour les préparer au beurre noir.

Mais qui était Madame Martha ?
Elle était la concierge, la gardienne de la Diglette et aussi durant les séjours un peu la maman des jeunes "diglous". Polonaise d'origine, elle occupait avec son mari la maison à l'entrée de la propriété. Outre ces dernières fonctions, c'est aussi elle qui cuisinait le café et porridge du matin ainsi que le repas du soir. Maîtresse dans sa cuisine, elle y surveillait les corvées et la mise en ordre du lieu. Je l'ai revue plusieurs années après mon dernier séjour et pour elle j'étais toujours le "curé de Cucugnan", rapport à un "sketche" que j'avais interprété avec mon équipe au cours d'une veillée, enjoignant le public à une vie meilleure.
Un autre "sketche" que j'avais initié était un parcours mondial musical sur le thème de "Si tous les gars du monde voulaient se donner la main" avec pour chaque équipier un extrait chanté et une action folklorique des différents pays évoqués.

Comment parler de la Diglette sans parler de son cadre ; cette forêt de chênes, toute autre que la hêtraie-cathédrale aux portes de Bruxelles dont les fûts élèvent l'âme, nous ici nous couve sous sa voûte plus romane à une spiritualité plus intérieure et à l'écoute de la nature.
Sous ce dôme, toute une vie s'agite, le vent fait chanter les feuilles et leur support; outre les chênes, une multitude de petits arbrisseaux meuble ce couvert ; je ne sais plus combien d'espèces différentes ont été recensées lors de nos promenades ; il en est de même pour les fleurs.
L'eau, suivant les déclivités spécifiques, sillonne cette forêt se faufilant au travers des rochers, pierres et galets où elle creuse son lit; elle chante également lors de ses déplacements et murmure comme une musique d'orgue aux "aigus" en sourdine. Aux courbes où elle se repose, des traces signalent la présence de cerfs, biches, chevreuils et autres gibiers ; mais aussi notent la présence d'un groupe de sangliers, tous présents à l'aube ou à la fin de journée pour s'y désaltérer. Une chance pour qui à la joie de pouvoir observer ses animaux dans leur milieu naturel ; mais quelle patience il faut pour s'y initier.
Parfois la chance ou .... une promenade silencieuse vous invite au milieu d'une harde de sanglier ... Ne plus bouger car la mère protègerait ses petits envers et contre tout ; surtout ne pas s'affoler, ne pas bouger et repérer quelques branches basses pour éventuellement s'y accrocher en cas de charge.
Cela m'est arrivé avec mon équipe au retour d'une promenade vers notre base ; nous avons pu observer durant près d'une demi-heure toute une famille comprenant des mâles, des laies et leurs marcassins vadrouillant près de nous ; heureusement le vent était dans le bon sens.
Suivre les ébats d'une famille de cervidés ou observer l'un ou l'autre solitaire était une joie et une récompense à ceux qui pouvaient parcourir la forêt sans bruit.
Toute une vie paisible à saisir pour qui veut bien s'y employer.
Des affûts, ce n'était pas l'époque du "brame", se pratiquaient parfois en fin de soirée, mais sans beaucoup de succès, car c'étaient surtout pour un jeu de nuit que nous sortions. La forêt est tout autre ; tout diffère : les bruits, les odeurs, l'éclairage, les animaux ; c'est une expérience exaltante et tout aussi enrichissante.
Au retour, il y avait le vin chaud ( à la cannelle) pour nous réchauffer et nous aider à dormir.
Le matin, c'était une autre histoire, levé un peu plus tardif mais avec les mêmes rythme et discipline journaliers.
Question boissons, l'eau n'étant pas potable, des désinfectants devaient y être incorporés et pour en faire passer le goût de "Javel" ; des carafes de grenadine et de menthe étaient servies à table ; les gourdes se remplissaient dans des seaux avant la promenade.
Il y avait aussi le café "turc" qui se préparait sur le feu de bois au cours du pic-nique ; activité qui n'est plus de mise car trop dangereuse pour nos forets.
Après le nettoyage de la casserole de soupe, le café était jeté dans l'eau bouillante, puis passé au travers d'une étamine avant de faire la vaisselle : un vrai café turc; le tout était prêt lorsque nous finissions notre repas composé de saucisses, de boite de "singe", des tartines au fromage, confiture ... ou autres composantes - Sucre et lait pour qui voulait.

Je regrette de n'avoir pu fixer ces souvenirs sur pellicules ou sur films ; ce n'est que fin 1960 que j'ai commencé le cinéma et la photographie durant plus de cinquante ans et cela dure encore.

J'espère que les anciens parviendront à récolter les photos et documents sur cette vie ardennaise et à les digitaliser pour prolonger ces expériences et souvenirs.

Philippe LELOUP
Diglette 1958-59-60