La Diglette Saint-Michel (1931-2007...)

Saepe plus didici in silvis quam in libris
J'ai souvent plus appris dans les forêts que dans les livres (Saint-Bernard)


" Mais c'est un petit paradis ! ".

Voilà l'expression qui revient sans cesse sur les lèvres des visiteurs de La Diglette. En effet, lovée dans son écrin de verdure et dans le silence des grands bois que troublent seulement le chant des oiseaux et le murmure du ruisseau, la jolie maison (" le château des jésuites " dit-on dans la région) dégage un charme pacifiant et tonifiant. La petite rivière " La Diglette " qui limite son domaine et la " Forêt Saint-Michel " qui l'entoure, tout en rappelant le collège, lui ont donné son nom, voici plus de 75 ans. C'est en effet en juillet 1931 qu'eut lieu le premier séjour des élèves du collège (j'en étais !) avec le P. Brunin, Préfet de " discipline " et les PP. Borboux, Hanotiaux, . Houyoux et Meesen. Mais les PP. Charles Brunin, Maurice De Beys, Léopold Derbaix, et plus récemment, les PP. Marcel Dupuis et Albert Wankenne marqueront plus spécialement ces séjours : leur souvenir y vit encore. Tout avait commencé en 1926, quand les parents du P. Jacques Misson mirent à la disposition du collège, pour les vacances, le Fourneau SaintMichel, devenu depuis le musée du fer. Les locaux ne pouvaient accepter plus de 16 ou 17 élèves. Mais la fascination de cet environnement unique jouait déjà. En 1928, Emile Misson, notaire à Masbourg, signala à son frère, le P. Jules Misson, recteur de Saint-Michel, que trois lopins, appelés Pré SaintMichel, avec deux maisonnettes agricoles, étaient à vendre. Ils furent achetés pour 28.000 fr. Et c'est l'architecte Hemelsoet, constructeur aussi de la grande salle du collège, qui dressa les plans, plus d'une fois remaniés, des bâtiments actuels. M. Focant en fut l'entrepreneur. Les constructions débutèrent en 1929 et coûteront 1.100.860 fr. dont 145.113 fr. pour la maison du garde. Le salaire horaire était de 5,50 fr. pour les manoeuvres et de 7 fr. pour les ouvriers qualifiés (archives Diglette). On acheva d'abord complètement la maison du garde avant d'entreprendre la grande bâtisse.

P. Brunin

P. De Beys

AUTREFOIS...

Elle est loin, l'époque où les jours et les nuits étaient rythmés par le martèlement régulier du " bélier de Montgolfier ", système ingénieux hissant l'eau à une quinzaine de mètres par la seule force du courant de la rivière jusqu'au réservoir de 6 mètres cubes situé au grenier, pour alimenter cuisine et toilettes. Pas d'électricité. Les soirées se passaient à la lumière des lampes à pétrole puis chacun montait avec sa chandelle, ce qui pouvait présenter un réel danger d'incendie. Aussi le P. Brunin avait inventé un " truc ": au couvre-feu, il passait chez chacun offrir un caramel. Nous l'attendions avec impatience ce caramel, sans nous douter que ce chaleureux " Bonne nuit " était motivé par le souci de vérifier si notre bougie était bien éteinte. Pendant les séjours des élèves, le rituel était immuable et s'est perpétué jusqu'en 2006: départ vers 11 h., sac au dos avec les victuailles pour le pique-nique et retour pour le bain dans l'étang du Fourneau, ce qui, bien sûr, n'est plus autorisé. La quinzaine était coupée de deux grandes excursions dans le car de M.Burnet. La communauté de Saint-Michel venait, elle aussi, y passer une " quinzaine " de vacances, coutume qui s'est maintenue jusqu'en 1965.

DES UTILISATIONS LIMITEES (1931- 1975)

Pendant des décennies, la Diglette ne fut fréquentée outre la " quinzaine " des jésuites que par les deux quinzaines d'élèves, les mois de juillet et d'août. Avec toutefois trois exceptions. En 1937, une trentaine de Pères et Frères espagnols, fuyant les excès du " frente popular " y trouvèrent asile. Jusqu'en 1994, un des derniers survivants de cette époque est revenu, chaque année, comme en pèlerinage, à cette Diglette où ils avaient eu " si froid " (la maison en effet ne compte que quatre cheminées). Ensuite, pendant la guerre, un groupe de résistants est venu régulièrement y passer la nuit, n'osant pas y demeurer pendant la journée. Enfin, la propriété fut également occupée par des troupes américaines, durant l'offensive von Rundstedt, comme en témoignent les nombreuses dalles écornées des couloirs. Il y eut aussi des épisodes folkloriques. Comme cette réservation (camouflée) d'un groupement paramilitaire que le P. Philippe De Schuyteneer s'empressa d'éjecter, avec l'aide de la gendarmerie locale. Ou, en 1988, un Campus Challenge qui réunit 350 étudiants, la plupart sous tente. Est-il besoin de dire qu'après 24 heures, toutes les commodités devinrent inutilisables et les dégâts très importants ? Ou cette réservation de la BRTN venue filmer un spot de mode de chasse. Les locations augmentèrent timidement. En 1975, un millier de personnes avaient logé dans la maison. chiffre qui restera sensiblement pareil jusqu'en 1987. Ce n'était pas suffisant pour assurer les frais d'entretien. En 1974 et 1976 furent organisées par le P. Jean Pirson les premières soirées du souvenir avec une trentaine de participants et sonnerie de trompes de chasse. Les 3 et 4 octobre 1987, fut fêté en grande pompe, avec 6 ans de retard, le jubilé de 50 ans où près de 200 anciens " diglous " participèrent à l'Eucharistie en forêt et au lunch champêtre. Il a fallu attendre l'électricité, en 1966, pour voir venir des hôtes plus nombreux. Tout d'abord, une société de chasse, louant la maison pour la période des battues mais avec l'exigence de pouvoir disposer des lieux à l'improviste. Puis, en 1974-75, le P. Jean Pirson eut l'idée de céder en location gratuite, pendant plusieurs semaines, de juillet et d'août, les locaux à un groupement de jeunesse, à charge pour celui-ci de faire quelques peintures et d'installer deux salles d'eau, une au rez-de-chaussée et une au second étage (de longs bassins en zinc, munis de quelques robinets). Mais l'expérience ne fut guère ni durable, ni concluante. Pendant plusieurs années, les novices sont aussi venus passer un mois d'études d'évangile. Ils ont aussi peint ou repeint, en 1989 et 1990, salles et chambrettes, sous la direction du P. Georges Theunis, alors "socius" du Maître des novices.

P. Derbaix

P. Dupuis

PREMIERES MODERNISATIONS (1966-1986) - Le P. MARCEL DUPUIS

Il faut rendre un hommage spécial au P. Marcel Dupuis qui fut responsable de La Diglette de juillet 1967 à juillet 1970 et qui opéra une vraie révolution. On peut le considérer comme le second fondateur de la maison. En effet, jusqu'en 1967, le bâtiment ne connut pas de changement notable, si l'on excepte la minicentrale électrique bricolée avec une vieille auto par le P. Jacques de Marneffe (le catalogue P.B.M.(aujourd'hui B.M.E) n'indique de responsable de La Diglette que pendant trois ans de 1967 à 1970 le P. Marcel Dupuis, ensuite, à partir de 1986, le P. Pierre Galopin, puis, après son décès, le P. Jules Mali. Auparavant, la charge en incombait au P. Ministre. Les adresses ou simples mentions des "maisons de campagne" que possédaient collèges et maisons de formation étaient absentes du catalogue jusqu'en 1958. Il n'en reste aujourd'hui que deux : la Villa Botassart-Saint-Servais et la Diglette-Saint-Michel). Le P. Dupuis ne fut en charge du site que pendant trois ans mais ce furent trois années fécondes. Il trouva le temps et les moyens d'aménager un appartement pour ses confrères, en cloisonnant un couloir du premier étage, transformant la véranda ouverte en living rustique et convivial, en installant une petite cuisine dans la première chambrette, côté est, une salle à manger dans l'ancienne chambre du P. Préfet et une chapelle privée dans l'ancien jubé. Suivirent, en 1968, le placement d'une citerne à gaz, le raccordement à l'électricité et les deux chaudières, qui fonctionnent toujours ! La cuve à mazout de 5.000 litres en était placée à moins de 4 mètres ! Ce furent des changements considérables qui permirent tous les développements futurs.

LA GRANDE OPTION

L'année 1986 fut celle de la grande option. Pour la communauté de Saint-Michel, la charge de cette vaste demeure était trop onéreuse et les locations trop peu rentables. Une fois de plus, on songea à vendre la propriété. Mais les jeunes jésuites estimaient que cet endroit privilégié était fort précieux pour une pastorale des jeunes. Aussi le P. Emmanuel Servais, Provincial, en accord avec la Communauté Saint-Michel, décida-t-il de reprendre la gestion du domaine et d'y investir les sommes nécessaires pour rendre l'outil vraiment apostolique. Outre la modernisation complète de la maison du garde, on rénove la grande chapelle suivant les plans du P. Pierre Defoux (qui réalisa aussi, entre 2000 et 2006, le retable en céramique des principaux saints jésuites, la dernière Cène du réfectoire et les statuettes du hall : la Vierge, Saint-Joseph, Saint-Hubert, Saint-Eloi et Saint-Monon, patron de Nassogne). La grande croix et la statue de la Vierge sont les créations de Raymond Glorie, ancien "diglou", le tabernacle et la première grande mosaïque, du Père Robert De Coster. Sont insonorisés et mieux éclairés, le réfectoire et la salle de conférence qui reçoit une cloison, un nouveau pavement, tous travaux dirigés par le P. Jacques de Marneffe (décédé en 1995). En 1986, le " confort " de l'appartement privé fut, lui aussi, amélioré : la petite cuisine est transférée dans la tour, avec percement d'une porte vers la salle à manger (l'ancienne chambre du P. Préfet) et placement d'une toilette et d'une douche dans l'ancienne cuisine. La même année, fut foré, à 42 mètres, le puits d'eau potable (la meilleure qu'il connaisse, dira le puisatier !). On ajoutera d'autres améliorations: La cuve à mazout de 10.000 litres fut enfouie sous la plaine (1991), Les descentes de gouttières qui s'arrêtaient à trois mètres des façades, furent prolongées jusqu'à la rivière. L'eau chaude et l'eau froide furent assurées dans toutes les chambrettes, avec la construction de quatre douches au deuxième étage (1993). Suivirent les lambris en pin vernis, l'insonorisation et l'éclairage du grand living (1994), le remplacement du perron en 1993, refait encore en 1999, l'asphaltage du chemin d'accès (1995), la rénovation des toilettes du home et de l'appartement (2001). Enfin, les installations de la prévention incendie : escalier de secours, détecteurs, vasistas automatique (2001-2002). Furent rénovées, en 2005, le douches de l'entresol ainsi que le remplacement des deux premières grandes baies du living du rez-de-chaussée par des doubles vitrages, suivis bientôt du renouvellement de plus de la moitié des fenêtres. Tous les châssis de la maison seront ainsi bientôt remis à neuf...

P. Wankenne

P. De Coster

P. Gilson

MAINTENANT ET ... DEMAIN

L'arrivée d'un " permanent " (toutefois, M. Lambert Gillet, diglou 1962, fut, de 1968 à 1976, un permanent bénévole et efficace), en 1988, fut aussi un facteur de développement qui a permis à La Diglette Saint-Michel de prendre sa vitesse de croisière avec un minimum de rentabilité. La richesse de son environnement, en contraste avec la vie urbaine moderne, rend le domaine sans doute encore plus attirant qu'auparavant. Citons : ses hêtres, ses chênes, érables, aulnes, charmes, noyers, bouleaux, noisetiers, épicéas, saules marsaults, frênes, houx, églantiers, aubépines, prunelliers, genêts... ; ses fleurs sauvages ( j'en ai dénombré 135 jusqu'ici mais suis loin du compte) ; sa faune, cerfs, biches, chevreuils, sangliers, renards, martres, écureuils, hermines, truites, salamandres, orvets, grenouilles et crapauds... ; ses oiseaux : buses geais, pics, grives, mésanges, rouges-gorges, pinsons, accenteurs, sittèles, bergeronnettes, hérons, ramiers, hulottes, martinets, pipistrelles, pies...; ses abeilles et ses papillons...
La formule d'hébergement constitue aussi un atout. La maison qui compte soixante lits en chambres d'une ou deux personnes, fournit tout l'équipement : lits, matelas, couvertures, vaisselle mais les hôtes doivent apporter victuailles et cuisiner eux-mêmes et se charger du nettoyage au départ. Formule qui permet une indemnité de séjour très modeste.
Commencés en 1931, les séjours des élèves, auxquels présidèrent les différents préfets, et après 1988, le P. Réginald Nolf, puis Robert Desmaret, professeur et éducateur au collège, n'ont été interrompus que par la guerre et en la seule année 1994, au lendemain du décès du P. Albert Wankenne qui en avait été l'âme de 1955 à 1988. Ces séjours de vacances du collège s'arrêtèrent toutefois définitivement en 2006, le nombre de participants devenant trop faible. Par contre, les compagnons jésuites, francophones ou flamands, viennent volontier passer quelques jours de repos ou de recueillement dans la grande paix de l'Ardenne. Et se perpétue aussi la journée annuelle de "rencontres et d'amitié" du 1er juillet, initiée, en 1985, par le P. Manu André.
La maison s'est largement ouverte à d'autres groupes, privilégiant les retraites et vacances d'adolescents, les préparations de profession de foi, les sessions de pastorale ou d'étude , telles les journées de préparation de l'année académique de l'I.E.T. , tout en accueillant des réunions de famille, des séjours d'handicapés, un "foyer" de familles musulmanes ou les jeunes de l'Eglise Evangélique de Bruxelles. Il est réjouissant, lors de séjours de famille, de voir, petits souliers, jouets, petits pots et couches-culottes joncher le hall et les salles de séjours.
Enfin, de 1999 à 2007, une "commission Diglette" créée par le P. Xavier Dijon, Provincial, fut chargée de veiller à l'avenir de cet outil apostolique, avenir qui peut être envisagé avec sérénité. Il rend un réel service apostolique et social.
Depuis septembre 2007, le Père Michel Gilson, lui-même ancien "diglou", a pris la direction de la maison, le Père Robert De Coster continuant à l'aider dans de petites tâches.
Depuis 1990, chaque année, environ 2.000 personnes se partagent près de 7000 nuitées, en une bonne soixantaine de groupes. Les candidats à un séjour réserveraient volontiers plusieurs années d'avance! Aussi est-il demandé de ne pas anticiper plus de treize mois les réservations. La Diglette-Saint-Michel a connu des habitués tenaces. A commencer par les préfets d'éducation (ou de " discipline " comme on disait autrefois). On notera que, sur le siècle d'existence du Collège Saint-Michel, deux très grands éducateurs se partagent plus de 50 ans de " préfecture ": le P. Charles Brunin , pendant 27 ans, de1922 à 1949 et le P. Albert Wankenne, pendant 23 ans, de 1955 à 1978 et que tous deux furent des " fanatiques " de La Diglette dont ils saisissaient toute la valeur éducative. Venir à La Diglette, c'est tomber sous son charme et c'est vouloir y revenir pour goûter la paix et le silence de la grande forêt et se refaire dans un havre unique de ressourcement.

Venez-y. Vous repartirez " accro ".

Robert De Coster s.j.